Les publics sans-abri en bibliothèque publique

22 décembre 2010 at 14 h 42 mi Laisser un commentaire

Je viens de lire Les publics sans-abri en bibliothèque publique, mémoire de l’Enssib publié en janvier 2010. Il est l’oeuvre de Vincent Chevalier.

L’auteur se propose d’étudier la relation établie entre ces publics et les bibliothèques, tant l’institution, le lieu physique, leurs règles et les bibliothécaires.

L’auteur pose d’abord deux problèmes majeurs pour un tel sujet. Tout d’abord, la définition du sans-abri prête à caution. Est-ce un individu vivant dans la rue ? Dans un foyer ? la définition est rude.Dans tous les cas, les sans-abris dans les situation les plus difficiles ne feront pas la démarche de venir en bibliothèque. De même, une grande partie de ces sans-abri passent incognito dans les bibliothèques.Ce problème de définition pose problème parce que la définition du sujet, à mon avis, ne  passe plus par des critères objectifs mais par le regard du bibliothécaire qui va se dire « lui, c’est un sans-abri ».

L’auteur n’ a pas réussi à interroger des sans-abris allant ou non dans les bibliothèques. Je pense que c’est le manque de ce mémoire. Les personnes interrogées ont donc été principalement des bibliothécaires.

Dans une première partie, l’auteur tente de définir les traits sociologiques dominants en mettant l’accent ensuite sur les facteurs poussant à leur fréquentation ou contraignant celle-ci. La situation géographique de la bibliothèque (cadre urbain, place centrale), son accès libre  [sauf peut-être Marseille où les sans-abris seraient (écho fait par un interviewé page 49) refoulés systématiquement par les vigiles], la possibilité de se se construire un espace en dehors des regards facilitent notamment cette fréquentation. Ce sont les barrières réglementaires (abonnement, règlement) et la frontières symbolique qui la freinent.

Ensuite, Vincent Chevalier montre l’usage qui  est fait de la bibliothèque qui est avant tout un lieu de survie. Les toilettes y sont généralement propres, il y fait chaud, les sièges confortables etc. C’est aussi une manière d’avoir une activité commune, d’être un usager lambda, de ne plus avoir de regard pesant sur soi, de se revaloriser.  Mais les usages documentaires y sont également importants. L’accès à internet notamment, à la télé à la BPI, permet de garder contact avec le monde.

Cet ensemble d’usages va rentrer parfois en contradiction avec le lieu. Ce sont notamment des problèmes de comportement (problèmes psychologiques, de comportement) qui doivent être réglés par les bibliothécaires qui ne peuvent tout tolérer dans un espace public .De même, c’est un choc de cultures qui peut se créer entre les différents usagers. La tolérance à la pauvreté dans un espace public se réduirait selon lui notamment dans un contexte de crise où les individus se projettent. EN 2009, 56 % des Français estimaient qu’ils pourraient un jour devenir sans-abri.

Face à certains usagers exaspérés par la présence des sans-abri, la nuisance qu’ils créeraient, les bibliothécaires se retrouvent donc dans une situation d’arbitrage difficile auxquels ceux-ci ne sont pas formés. Il n’y a aucune règle, c’est toujours du cas par cas. Tout dépend donc de la situation, de l’appréciation du ou des bibliothécaires. L’importance du dialogue (parfois difficile) est l’une des conditions sine qua none à la résolution des conflits. Un ensemble d’acteurs peuvent alors rentrer en compte : services de sécurité, samu social, pompiers qui font donc de la bibliothèque une maille de la ville.

La partie qui m’a passionnée est la dernière partie du mémoire qui interroge la culture professionnelle par rapport à ce sujet. On sent le malaise des personnes interrogées dans une grande partie du mémoire. Entre l’envie depuis une vingtaine d’années d’accueillir le plus possible de publics divers et l’attachement à son public traditionnel cultivé qu’il veut préserver (empruntant des livres de qualité, des bons films), les bibliothécaires sont perdus : savoir garder tous ses publics, considérer la bibliothèque comme espace de culture à protéger ou un espace public comme un autre, protéger ou pas les documents et la profession. La citation faite d’Anne-Marie Bertrand dans Bibliothécaires face aux publics (éditions de la BPI, 1995)est très révélatrice :

« La vieille ambigüité du métier de bibliothécaire se retrouve ici. Les bibliothèques veulent, doivent attirer un nouveau public (le mythique « grand public ») et étendre leur aire d’influence. Les nouveaux venus dans les bibliothèques sont des usagers particulièrement précieux, qu’il faut tenter d’accueillir, de conserver, de ne pas rebuter, d’instruire (élargir le champ des curiosités, faire découvrir autre chose). Mais, en même temps, les bibliothécaires reconnaissent que le nouveau public est bien décevant : il dort, il ronfle, il est sale…(…) Au mieux, s’il vient à la bibliothèque pour un usage normé (documentaire), il n’a pas les compétences scolaires ou bibliographiques qui lui en faciliteraient la pratique. Il ne sait pas comment se tenir dans une bibliothèque. En somme, ce nouveau public n’est pas policé comme le public habitué des bibliothèques et il pose des problèmes particuliers aux bibliothécaires. »

 

Les bibliothécaires sont aujourd’hui formés dans une plus grande ouverture face aux comportements des usagers. Mais, malgré une formation initiale touchant des thèmes comme la sociologie des publics, la gestion des ressources humaines, il me semble que les bibliothécaires devraient être formés à la gestion de conflits pour éviter de ne pas savoir quel comportement adopter et d’être dépassés par les évènements. Heureusement, le travail en équipe, l’importance de la tutelle responsable de la structure peuvent faciliter cette prise de décision, dit l’auteur. C’est donc une question politique dont Vincent Chevalier regrette qu’elle soit quasiment absente (public trop peu nombreux ? imperceptible ? ) des journées professionnelles.

 

Et comme illustration de ce problème dans l’actualité, les évènements qui se sont déroulés dans la bibliothèque Jean-Pierre Melville.

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